Gouffre du Cristal

le 1er mars 2003

Acteurs : Christian CHARLETTY, Emmanuel GAY, Gérard GUDEFIN, Sandrine & Olivier LANET, Jean-Claude MOUZARINE, Patrick NOEL, Benjamin RICHARD et Mathieu.
Objectifs: Plonger le siphon terminal à -600m

Rendez-vous à 9h00 au bar des Carroz ce matin. Du travail nous attend ce WE, et la sortie est préparée depuis plusieurs jours déjà. Descendre le matériel de plongée à -600m nécessite un peu d'organisation ... et beaucoup de porteurs. Nous sommes 9 à sortir en même temps, ce qui est du jamais vu dans ce trou !

Nous organisons deux équipes :
* Gus, Manu et Mathieu, qui ne peuvent sortir que samedi, changeront des cordes qui commencent à être grasses par endroit et descendront jusqu'au bivouac pour déposer du matériel. Ils remonteront dans la foulée.
* Les autres m'aideront à porter le matériel de plongée : Charlot et Patrick auront chacun une bouteille de 4 litres à 300 bar, Jean-Claude portera le dévidoir de fil d'Ariane, Benjamin aura les détendeurs et je porterai la combi, les lampes et des vêtements chaud. Sandrine aura à sa charge de porter le matériel personnel de tout le monde (bouffe + vêtements).



Il est 11h30 quand nous nous changeons au soleil.
La descente se fera rapidement jusqu'au siphon, malgré les quelques gags de Mouz !.


Patrick m'aide à fixer les lampes sur le casque pendant que je fini d'enfiler la combinaison étanche. Le tout sous le regard de Charlot !
J'ai opté pour une combinaison étanche en toile pour son faible volume une fois pliée au fond du sac. En contrepartie, je dois enfiler un sous-pantalon polaire et une veste en polaire afin d'avoir une couche d'air pour m'isoler du froid. Je remercie au passage Olivier RODEL (spéléo-plongeur genevois) pour m'avoir prêté sa combinaison.


Je fini de m'équiper dans la vasque du siphon. Dans un but de sécurité, tout mon matériel est déboublé : je plonge avec deux bouteilles séparées, deux détendeurs, deux profondimètres, un masque de secours, etc... De telle sorte que si quelque chose tombe en panne, j'ai une redondance qui me permette d'assurer mon retour en toute sécurité. C'est contraignant à déplacer à -600m sous terre, mais tel c'est le prix à payer pour une plongée sereine en toute sécurité.


Charlot m'ouvre les bouteilles qu'il a réussi à mettre dans un kit. Pendant ce temps je fixe les détendeurs sur le collier. Cette précaution me permettra de les retrouver très rapidement en cas de problème si l'argile que je remue à l'aller trouble l'eau.


Les manos sont au maxi. Avec mes 2 * 4 litres je devais pouvoir tenir une vingtaine de minutes.


Je vérifie une dernière fois la disposition de mes accessoires qui doivent toujours être accessibles. J'ai accroché deux pierres à la ceinture pour mon lestage. Le masque de secours est mousquetonné à la sangle de portage du kit. La tablette pour la topo est fixée à mon avant bras.


J'ajuste le casque sur la tête, qui commence à se faire lourd hors de l'eau. Je vérifie que le fil d'ariane est bien attaché sur la roche avant de me saisir du dévidoir.


Je recule jusqu'à ne plus avoir pied pour vérifier mon équilibrage, puis je me laisse aspirer par le siphon...


L'attente commence alors pour les collègues.

La galerie continue avec les mêmes dimensions (environ 3 m de large pour 2 m de haut). Arrivée au virage que j'avais repéré en apnée la fois d'avant, la galerie part à droite et me conduit dans une petite rotonde, ceinturée par la roche. Je lève les yeux en espérant découvrir la galerie ascendante qui me mènera de l'autre coté du siphon, mais le plafond est là. En fait la suite repart sur la gauche derrière une lame rocheuse. Je passe la tête et voit la galerie continuer à descendre, toujours avec la pente du pendage. Soupir, le siphon ne sera pas aussi court que ce l'on souhaitait.
Un rapide coup d'oeil en arrière me permet de me rendre compte que l'eau se trouble à mon passage : je n'y voit pas à 30 cm. Il faudra que je sois vigilant au placement du fil pour sécuriser le retour.
La galerie devient un peu plus étroite et plus haute : un canyon commence à se dessiner à mes yeux et je décide d'évoluer en hauteur.
La roche d'Hautérivien est vraiment pourrie et l'écaille que j'avais choisie pour fixer mon fil se désagrège quand je place l'élastique en même temps que se forme un épais nuage. J'avance de quelques mètres pour retrouver de l'eau claire et fixe de nouveau mon fil.
Plus loin, j'arrive à un carrefour. A ma droite un conduit tout juste pénétrable part vers l'amont. Je le laisse de coté en préférant la galerie principale. Celle-ci repart vers la gauche, toujours descendante. Je profite d'un gros champigon en roche massive au milieu de la galerie pour fixer solidement mon fil avec deux élastiques. Ouf de soulagement, ce point là au moins ne risquera pas de lacher ! Je fais le bilan sur mes manomètres. J'ai déjà consommé un tiers sur un bloc et il ne me reste que 10 bars sur l'autre. Je me fais à l'idée que la traversée du siphon ne sera pas pour aujourd'hui.
J'avance toujours dans la galerie. Me voilà maintenant à 14m de profondeur. Je pose un nouvel élastique pour fixer le fil à la paroi. Alors que je reprends en main le dévidoir je me rend compte qu'une boucle de fil s'est prise dans l'axe ! J'essaie de la dégager avec mes doigts qui commencent à être engourdis dans cette eau à 3 °C, mais sans succès. Je sais que je suis au tiers sur mes deux bouteilles et qui plus est au point le plus éloigné : il s'agit de ne pas perdre de temps ici. Aussi je n'hésite pas à sortir le sécateur et je tranche le fil. Je refais un noeud avec le brin libre sur l'élastique. Devant moi, la galerie continue toujours à plonger en suivant le pendage, tout en gardant ses bonnes dimensions. L'eau est restée limpide et mes lampes éclairent jusqu'au prochain virage, une dizaine de mètres plus loin.
Je fais une profonde inspiration devant ce spectacle, puis donne un coup de palme pour faire demi-tour et me prépare à traverser cette eau maintenant touille qui me sépare des copains. Dès que ma main sur le fil croise un point d'attache j'essaie de me souvenir comment était la galerie à cet endroit à l'aller, quand l'eau était claire. Je recroise l'étiquette 30m. Je sais que c'est elle, mais prend le temps de la lire avec attention. Ca me fait penser que je dois faire la topo sur le retour. Je note donc sur ma tablette la distance, la profondeur et l'azimut du fil. A chaque changement de direction je renote ces informations. Le froid m'a maintenant complétement envahi. Mon écriture n'est plus précise, et fais des efforts pour écrire. Revoilà l'étiquette 10m; je suis à -6m de profondeur. Un coup d'oeil sur l'odinateur pour me confirmer que je n'ai pas de palier, puis je me dirige doucement vers la surface.


Je suis resté 18 minutes sous l'eau. Je suis complétement frigorifié a tel point que je me demande si je n'ai pas déchiré ma combinaison. Heureusement il n'en est rien.



Le temps de retirer le détendeur je raconte aux collègues que le siphon est plus long que prévu et que je n'ai pu le franchir.
J'ai déroulé 40m de fil pour atteindre la profondeur de -14m.


Je sors de l'eau avec peine avec ce lourd anarchement et le froid qui me paralyse.


Je décide de remonter tout équipé jusque dans la faille où je me suis changé.
Ce bi 4 litres ne prend vraiment pas beaucoup de place !


Jean-Claude m'aide à me déséquiper, tandis que les collègues font chauffer de l'eau et rangent mes affaires. Ils sont vraiment super !

Pour ne pas trop attendre à la base des grands puits, les collègues commencent à partir au fur et à mesure que leurs sacs sont pleins.
Sandrine et Patrick restent les derniers avec moi, puis nous commencons la longue remontée. Le mot est donné : les sac sont lourd, donc on prend son temps !
Nous arrivons au bivouac, les derniers, vers 1h30 du matin. L'ambiance est bonne, les chants font vibrer les stalactites !


Après s'être enfilé plusieurs soupes et cafés, nous rejoignons les duvets vers 3h00 du matin !

Sylvain n'est pas là pour sonner le réveil, tant et si bien que nous ouvrons l'oeil vers 10h30 ! Nous prenons le petit déjeuner en vitesse et commencons la remontée. Charlot part en premier suivi de Jean-Claude et de Benjamin. Nous finissons de ranger la cuisine puis c'est au tour de Patrick et de Sandrine de monter. Je reste dernier pour fermer la marche.

Soudain, dans le bout de méandre entre le puits des Anses et celui de la Traboule j'entends des cris répétés. J'accélère le pas pour arriver à la base du puits. Je trouve là Sandrine qui me dit la voix tremblante qu'il s'est certainement passé quelque chose de grave là haut. Les cris continuent et résonnent dans le puits ; il ne s'agit pas d'une blague. Ayant la trousse à pharmacie dans mon kit, je double Sandrine et remonte ce puits de 40m en alternatif à une vitesse dont je ne me savais pas capable. Dans la Traboule je trouve le kit de Patrick posé en vrac. Je crie pour savoir ce qui s'est passé en franchissant le dernier ressaut : Patrick et Mouz m'informent qu'une pierre s'est décrochée et est venue percuter la cuisse de Benjamin qui attendait à la base du puits. Sa cuisse est ouverte, le sang coule. Charlot a reçu l'information et est déjà parti prévenir les secours ! Il est 13h00 et nous sommes à -190m de la surface, à la base du puits Viennetta.

Je sors la pharmacie et pose deux pansements compressifs après avoir désinfecté la plaie à l'éosine. En même temps, Jean-Claude consigne sur une feuille les soins que l'on donne à Benj. L'hémorragie est bien ralentie, mais un filet de sang coule toujours. Benj arrive à bouger son pied et garde un bon moral. Nous sortons deux couvertures de survie pour faire un point chaud de fortune.
Sandrine et Jean-Claude restent avec Benj, tandis qu'avec Patrick, nous vidons deux sherpas du matos de plongée, puis redescendons au bivouac pour récupérer du carbure, des matelas, un duvet, une couverture en polaire, un réchaud, de l'eau et de la bouffe...
De retour auprès de Benj, nous l'installons plus confortablement sur les matelas et dans le duvet. Nous en profitons pour refaire un deuxième bilan de santé que nous consignons sur la feuille pour le remonter au médecin.


Nous faisons chauffer de l'eau et donnons une soupe "du pêcheur" à Benj pour le réchauffer et pour le réhydrater.
Il est déjà 18h00. Charlot est parti seul voilà déjà 5h. Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé et qu'il ai pu donner l'alerte.
Nous décidons de laisser Sandrine et Jean-Claude auprès de Benj, et remontons avec Patrick. Heureusement que nous sommes si nombreux !


Après avoir échangé quelques encouragements avec Benj, nous remontons en faisant extrêmement attention à ne rien faire tomber. Bien que nous l'ayons installé le plus loin possible de la corde, il n'est toujours pas parfaitement à l'abris des chutes de pierres. Pour finir de sécuriser la zone, je démonte le fractionnement qui servait à équiper hors crues pour écarter la corde encore plus.

J'ai récupéré le rubalise du bivouac, et tel le petit Poucet, je laisse derrière moi ce petit ruban rouge et blanc pour signaler les passage où les sauveteurs pourraient s'égarer. Pendant ce temps Patrick prend de l'avance. Quelle fut pas ma surprise de voir sa lumière au bout d'un méandre de la zone d'entrée ! Il m'attendait à la base d'un puits car dans la précipitation Charlot avait remonté la corde avec lui ! Il a déjà tenté l'escalade, mais la roche est trop glissante. Pour finir, ce sera sur mes épaules et en utilisant un descendeur en fronde au bout de sa pédale de pied qu'il réussira à crocheter la corde et la faire retomber dans le puits ! Ouf !

Après ce dernier imprévu nous sommes vite en surface. Il est 19h00 et il fait déjà nuit. Des pisteurs de la station sont déjà là pour baliser l'entrée du trou : le plan de secours a bien été déclenché par Charlot ! Ouf ! Je leur empreunte une radio qui me met en contact avec Gus qui est déjà au poste de commandement des secours. Je lui communique le bilan de santé de Benj qu'il transmettra au médecin dès qu'il sera là. Il ne nous reste plus qu'à nous changer et à rejoindre le PC en dameuse. Savoir que le plan de secours est démarré est rassurant, mais je sais déjà qu'il faudra du temps de nombreux spéléo-secouristes pour le sortir de là.

La station de Flaine nous a laissé l'école pour installer le poste de commandement du spéléo secours. Heureusement que c'est les vacances scolaires !

Nous retrouvons là nos conseilers techniques en pleine réflexion.


Les spéléo secouristes commencent à arriver.
Il faut vite définir le nombre d'équipe et leur zone de travail.

Comme le trou a été récemment découvert, peu de personnes le connaissent.
Nous discutent avec les chefs d'équipes pour le leur décrire au mieux possible la cavité.


Afin d'estimer l'heure de sortie du brancard Charlot et Patrick établissent un diagramme sur lequel figurent les passages clefs de la cavité. Ils notent le départ de la civière à l'instant t0 puis essaient d'estimer le temps nécessaire pour franchir tous les obstacles jusqu'à la sortie. A chaque passages clefs, le temps mis depuis le départ de la civière est noté. Cela abouti à une estimation de sortie de la civière à t0+10 heures.
Reste ensuite à déterminer de combien de temps chaque équipe a besoin pour équiper sa zone. En faisant en sorte que lorsque le brancard passe d'une équipe à l'autre, la nouvelle équipe doit avoir juste terminé son équipement pour ne pas avoir à attendre inutilement sous terre. Nous obtenons ainsi l'heure d'entrée sous terre de chaque équipe.
L'heure d'entrée de la première équipe sous terre permet de caler tous les temps en absolu, ce qui donne comme estimation de l'heure de sortie de la civière lundi à 17h00.

Ce sont les lyonnais qui, venant de plus loin, arrivent les derniers.

Le temps qu'ils se changent et ils auront en charge l'équipement de la zone d'entrée.


Au PC Flaine, l'entente entre les conseillers techniques spéléo, les pompiers et le directeur du syndicat intercommunal de Flaine se passe très bien.


La répartition des équipes est représentée sur la topographie de la cavité. La progression de la civière est régulièrement mise à jour.


Toutes les informations sont consignées sur la main courante. La position de chaque sauveteur est mise à jour sur un diagramme. Cela permet de savoir à quoi il est occupé, et surtout de vérifier qu'après le secours que tout le monde est ressorti.

Ca y est, il est 15h45 : la civière arrive à l'air libre !

Après une nuit blanche sous terre, tout les sauveteurs sont invités à reprendre des forces autour d'un repas préparé par la station de Flaine !



Et pour conclure cette histoire qui se fini bien, merci à tous les sauveteurs spéléo bénévoles, qui ont répondu présent pour venir secourir notre amis. Tout particulièrement à ceux qui ont du venir de loin, ceux qui ont du bouleverser leur projets de cette fin de WE.

Merci pour cette solidarité, qui anime le mileu spéléo.

Olivier